“Les autres dieux et les guerriers qui combattent à cheval (01) dormirent toute la nuit : Jupiter seul ne goûta point les douceurs du sommeil. Il méditait dans son âme comment il honorerait Achille, et ferait périr sur leurs vaisseaux les nombreux Achéens.
[5] Le dessein qui, dans son esprit, lui semble préférable est d’envoyer à Agamemnon, fils d’Atrée, le pernicieux Onirus (02). Il appelle ce songe, et lui adresse ces paroles
[8] « Va, cours, pernicieux Onirus, vers les navires légers des Achéens. Pénètre dans la tente d’ Agamemnon, et rapporte-lui fidèlement ce que je t’ordonne. Commande qu’il arme à l’instant tous les Grecs à la longue chevelure (03), et il s’emparera aujourd’hui même de la ville des Troyens, d’Ilion aux larges rues (04). Dis-lui que les immortels habitants de l’Olympe ne sont plus partagés entre eux, que Junon suppliante a su les fléchir, et que de grands malheurs menacent leurs ennemis. » [16] Il dit. Onirus s’envole après avoir entendu cet ordre. Il atteint bientôt les navires rapides des Grecs, se rend auprès d’Agamemnon, et le trouve couché dans sa tente : un sommeil doux comme l’ambroisie l’environnait de toutes parts. Onirus se tient au-dessus de sa tête; et, prenant les traits de Nestor, fils de Nélée, celui de tous les anciens des Grecs qu’honorait le plus Agamemnon, il lui adresse ainsi la parole : [23] « Tu dors, fils du belliqueux Atrée, dompteur de coursiers! Cependant il ne faut pas qu’il se livre toute la nuit au sommeil le chef prudent à qui sont confiés les peuples et de si grands intérêts. Prête-moi donc une oreille attentive : Je suis envoyé près de toi par Jupiter, qui, quoique éloigné, s’intéresse à ton sort et compatit à tes peines. II t’ordonne d’armer à l’instant tous les Grecs à la longue chevelure , afin que tu t’empares aujourd’hui nième de la ville des Troyens, d’Ilion aux larges rues. Les immortels habitants de l’Olympe ne sont plus partagés entre eux : Junon suppliante a su les fléchir, et de grands malheurs sont réservés à tes ennemis par Jupiter. Mais toi, retiens bien ces paroles : crains de les oublier lorsque le doux sommeil t’abandonnera. »
[35] A ces mots , il s’éloigne, et laisse Agamemnon roulant dans son esprit des pensées qui ne devaient point s’accomplir; car, ignorant les projets de Jupiter, il se promettait de conquérir ce jour-là la ville de Priam : ce dieu préparait encore aux Troyens et aux fils de Danaüs bien des tourments et bien des larmes par de cruels combats! – Agamemnon s’arrache au sommeil, et la voix divine résonne autour de lui. II se lève, s’assied, et revêt son corps d’une belle et moelleuse tunique, nouvellement faite ; puis il jette autour de lui son large manteau, attache à ses pieds brillants des brodequins magnifiques, et suspend à ses épaules un glaive où l’argent étincelle. II saisit le sceptre incorruptible de ses pères, et marche vers les vaisseaux des Grecs à la cuirasse d’airain.
[47] Déjà la déesse Aurore montait vers l’Olympe pour annoncer le jour à Jupiter et à tous les immortels. Aussitôt Agamemnon envoie les hérauts à la voix sonore convoquer en assemblée les Achéens à la longue chevelure. En quelques instants ils sont tous réunis : le conseil des chefs magnanimes se tient près des navires de Nestor, roi de Pylos. Le fils d’ Atrée prononce alors ce sage discours :
[56] «Écoutez, ô mes amis: le divin Onirus est venu pendant mon sommeil à travers les douces ombres de la nuit ; il était en tout semblable à l’illustre Nestor, et par la figure, la taille et le noble maintien; il s’est placé au-dessus de ma tête, et m’a tenu ce langage: Tu dors, fils du belliqueux Atrée, dompteur de coursiers! Cependant il ne faut pas qu’il se livre toute la nuit au sommeil le chef prudent à qui sont confiés les peuples et de si grands intérêts. Prête-moi donc une oreille attentive : Je suis envoyé près de toi par Jupiter, qui, quoique éloigné, s’intéresse à ton sort et compatit à tes peines. II t’ordonne d’armer à l’instant tous les Grecs à la longue chevelure, afin que tu t’empares aujourd’hui même de la ville des Troyens, d’Ilion aux larges rues. Les immortels habitants de l’Olympe ne sont plus partagés entre eux : Junon suppliante a su les fléchir, et de grands malheurs sont réservés à tes ennemis par Jupiter. Mais retiens bien ces paroles. – Ayant ainsi parlé, il a fui en s’envolant, et le doux sommeil s’est dissipé. Voyons maintenant comment nous armerons les fils des Achéens. Je les éprouverai d’abord par mes discours, puisque cela est permis; je leur conseillerai de fuir avec leurs vaisseaux garnis de rameurs (05) ; mais vous, tentez de les retenir par vos paroles. »
[76] En achevant ces mots, il s’assied. Au milieu des guerriers se lève le sage Nestor, roi de la sablonneuse Pylos, et il leur dit avec bienveillance : [79] « Ô mes amis, chefs et princes des Argiens, si un autre parmi les Grecs nous rapportait ce songe, nous pourrions l’accuser d’imposture et n’y pas mettre toute notre confiance ; mais celui qui l’a vu prétend occuper dans l’armée le rang le plus illustre. Songeons donc, sans tarder, aux moyens d’armer les fils de la Grèce. »
Homère, Iliade, chant I