HdA 1res – Cours du 4 juin : Interview d’une restauratrice d’art, Julie Chanut

Pour préparer cette interview, nous avons regardé le documentaire d’Arte sur la restauration de la Sainte Anne de Léonard de Vinci.

  • Quel matériel utilisez-vous ? Quel matériel pourriez-vous abandonner ? Quel matériel ne pourriez-vous pas abandonner ?

J’utilise le scalpel, la loupe, le microscope, des instruments de mesure, les lunettes loupe, une lampe pour reproduire la lumière du jour, la spatule collante, les bâtonnets de coton. Il y a peu de fournisseurs spécifiques pour la restauration d’art, on utilise donc des outils cosmétiques, des outils de dentiste, de vétérinaire… On a aussi beaucoup recours au système D. Une table aspirante, par exemple, coûte dans les 10 000 € mais on peut en bricoler une soi-même.

  • Est-ce que vous devez garder le silence sur certaines œuvres que vous restaurer ?

Oui, assez souvent quand on travaille pour des particuliers (ex : pour un musée qui n’avait pas encore ouvert en Grèce, la fondation Goulandris à Athènes, à cause de l’assurance, pour des Monet, Van Gogh, Picasso). Mais le prix payé à la restauration ne change pas en fonction de l’artiste : le taux horaire reste le même.

  • Vous est-il déjà arrivé de faire tomber une œuvre par terre ?

Non mais c’’est arrivé à une collègue. Cela créé une déchirure mais cela se remet très bien en place dans le moment. Mais cela peut être pris en charge par l’assurance.

  • Combien gagnez-vous ?

Pas des masses ! Cela dépend beaucoup d’une personne à l’autre ; l’an dernier, pendant le confinement, à peine un Smic ; habituellement, aux alentours de 4000 € par mois.

  • Quelle œuvre la plus détériorée que vous avez eu à restaurer ?

Celle du musée de Montargis suite à une crue en 2017 car les réserves étaient dans des coffres inondés. Pendant 3 jours, les œuvres étaient dans l’eau (sculptures, peintures). Des pastels de Degas ont été perdus ; des œuvres avaient des phénomènes de blanchiment. Des peintures du XVIIe peinte sur une base d’argile, au contact de l’eau, ont la particularité que la peinture se détache de la base, ce qui rend la restauration difficile.    

  • Quelle a été la restauration la plus courte ?

Il y a des restaurations très courtes, quand il n’y a rien à faire sauf à nettoyer au pinceau souple : cela prend 30 minutes.

  • Avez-vous déjà raté une restauration ?

Non car il n’y a pas de surprise. Si on rencontre des éléments inattendus, on en discute au fur et à mesure. Mais on ne fait pas toujours au mieux pour l’œuvre : il faut rentrer dans un budget prévu, et parfois on demander juste de cacher la misère, de cacher une restauration précédente qui a mal vieilli. 

  • Avez-vous une anecdote sur votre métier ?

J’ai une anecdote sur les gens qui comprennent pas ce métier, car on est plus comme des archéologues que comme des artistes. Une fois, quelqu’un m’a demandé si je peignais sur des assiettes parce que cette personne ne comprenais pas ce que je faisais comme métier !

Une autre anecdote : j’ai travaillé sur un tableau qui appartenait à un personnage historique lugubre et c’était impressionnant car cela faisait froid dans le dos.

Une dernière anecdote : lors de ma 2e restauration, j’étais censée enlever sur une peinture du XIXe de Vénus et Cupidon les vernis et les repeints de différentes catégories (NB : il existe des repeints de réparation et d’autres de pudeur, à savoir quand on rajoute des vêtements sur les sexes apparents, par exemple dans le Jugement dernier de Michel Ange, ou encore des repeints pour remettre au goût du jour). Quand j’en suis arrivée aux nuages, j’ai dégagé quelque chose qui ressemblait à un oiseau mais qui était une main originale qui surgissait du bas du tableau… La toile était en fait un jugement de Pâris et on n’avait qu’un tiers du tableau original ! On a lancé des recherches pour voir si dans les salons des années 1810 il y avait une trace de ce tableau ; la signature avait été changée et c’est grâce à la matière de l’œuvre qu’on a retrouvé les fournisseurs de toile, le format de toile etc. Le peintre s’appelle Berthon et on avait essayé de le faire passer pour Prudhon. On a retrouvé la trace de ce tableau et est actuellement en possession d’un particulier. Il y aura bientôt une publication à ce sujet.

  • Est-ce que vos parents sont dans le milieu ?

Non, ils sont dans la musique ; ils sont dans l’art quand même mais pas dans les beaux-arts.

  • Travaillez-vous en collaboration ou seule ?

Cela dépend des tableaux et des besoins, du temps imparti… Les musées demandent à ce qu’on travaille sur un lot (ex : 10 œuvres). Il y a des concurrences entre les ateliers sur certains marchés ; mais on travaille à deux assez souvent.

  • Êtes-vous attachée à une œuvre que vous avez restaurée ?

Un peu à toutes car j’ai tendance à les personnifier. Le but est de transmettre aux générations futures, ce qui créé un lien particulier avec chaque oeuvre.

  • Êtes-vous tombée par hasard sur une des œuvres que vous avez restaurée ?

Non car je sais où elles sont conservées ou exposées ! Au Petit Palais il y aura bientôt une toile de Boldini que j’ai restauré ; c’est un portrait de femme.

  • Êtes-vous nombreux à faire ce métier ?

Non, on doit être 1200 en France toutes disciplines confondues (peinture, sculpture, archéo, photo, objets d’arts, textiles, cuivre, vitrail…) dont 400 restaurateurs de peinture. Avant, on pouvait apprendre sur le tas mais maintenant il y a des formations avec entrée sur concours ou dossier et il y a très peu de lauréats (3-4 par école par an, et il y a 3 écoles).  

  • Comment avez-vous entendu parler de votre métier ?

Je ne sais plus trop : j’ai fait histoire des arts au lycée et à la fac mais je ne me suis pas trop posé la question du métier que j’allais exercer, je travaillais à côté pour payer mon appartement. Mais je savais que je n’étais pas versée dans l’enseignement. Avec ce métier de restauratrice d’art, j’apprécie de pouvoir allier une connaissance pratique et une théorie de l’art. Le cours de Physique appliqué à l’histoire de l’art m’avait passionnée et a sans doute créé un déclic. 

  • Est-ce qu’il y a quelqu’un de connu dans le game de la restauration ?

Il n’y a pas de star de la restauration car c’est un métier de l’ombre ! La personne qui a restauré la Sainte Anne le Léonard de Vinci est une des plus connues. Mais nous, nous avons des collègues que l’on reconnaît. Les stars pour le grand public, sont celles qui ratent (cf les restaurations ratées en Espagne récemment…) !

  • Est-ce un métier de passion ? Avez-vous eu le coup de foudre pour ce métier ?

Oui, je n’ai eu que de belles révélations successives et j’ai beaucoup aimé mes études comme j’aime mon métier, malgré les difficultés pratiques. C’est un métier de passion qui comporte une belle mission, celle de transmettre.

  • Aimez-vous dessiner par ailleurs ?

Pas spécialement ; on nous demande de savoir dessiner et peindre à l’école, mais c’est pour savoir comment reconnaître un glacis par exemple ; je n’aime pas dessiner plus que cela.

  • Avez-vous déjà fréquenté des faussaires ?

Non mais j’ai déjà restauré des faux, souvent des Picasso. La différence entre un faux et une copie, c’est qu’il y a une intention de tromper. En tant que restaurateur, on peut dire que ce n’est pas un Picasso à plusieurs indices car ce n’est pas toujours une question de datation. Il peut parfois il y a avoir des supposés faux qui s’avèrent vrais : ils sont bien conservés, bien restaurés. La réponse est dans la matière (réseau de craquelure, utilisation du glacis…).

  • Quel est votre peintre préféré ?

Van Gogh ; en restaurant certaines de ses toiles, j’ai vu que c’était très bien peint. Il y a un vrai savoir-faire dans la mise en garde de la peinture ; et j’ai même retrouvé une empreinte digitale du peintre dans une partie cachée. Certains pigments qu’il utilise ne tiennent pas bien le temps : en le décadrant on retrouve les couleurs originelles, en l’occurrence un rouge coquelicot très vif. Ce que j’aime dans la peinture, c’est la couleur.